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1 - Valse « brillante » n° 1 op. 18 en Mi bémol majeur

composée en 1833 et dédiée à Laura Horsford



La valse n° 1 op. 18, composée en 1833 et dédiée à son élève Laura Horsford, est sans nul doute l’une des plus célèbres. Elle est pleine d’un enthousiasme qu’on ne retrouve pas si fréquemment dans l’œuvre de Chopin. L’allégresse et l’insouciance de son motif principal, le renouvellement constant des motifs qui sont développés chacun dans une partie distincte, témoignent d’une richesse d’invention et surtout d’une envie de paraître, bien éloignée du Chopin des Nocturnes ou des grandes pièces. Cette forme d’insouciance mondaine, dans laquelle Chopin semble comprendre ce que son public attend de lui, n’est que brièvement entachée par une séquence plus calme, plus chantante, qui ne constitue toutefois qu’une faible ride à la surface d’une inspiration tournée vers la légèreté. Une évocation parfaite de ce monde du salon que fréquente Chopin depuis peu mais où il a su se faire une place (et quelle place !), justement grâce à des œuvres comme celle-ci.

A propos des deux versions : parmi les caractéristiques du piano d’époque, une est particulièrement importante dans le cas présent : l’absence de double-échappement dans la mécanique Pleyel. En effet, le deuxième motif de cette valse est à base de notes répétées. Si l’on veut que ces notes répètent correctement sur le Pleyel, il faut se plier à une diction particulière. C’est cette diction que j’ai reprise pour le piano moderne qui, bénéficiant d’une mécanique très performante pour les répétitions de notes, autorise pourtant une vitesse d’exécution bien plus grande.


Audio : double intégrale Valses de Chopin: Musique

2 - Valse op. 69 n° 1 en La bémol majeur, dite « Valse de l’adieu »

Composée en 1835 et dédiée à Maria Wodzinska.

Pour succéder à la valse op. 18, j’ai choisi cette valse publiée après la mort de Chopin. Est-ce le lien si fort unissant Chopin à Maria Wodzinska qui a justifié le fait que cette valse ne soit pas publiée et reste dans l’ombre ? C’est possible, Chopin ayant toujours su dresser une frontière entre ses œuvres pouvant être jouées par d’autres et celles réservées à leur dédicataire, à l’image du fameux Nocturne op. posthume en ut dièse mineur composé pour sa sœur et dont il avait exprimé dans ses dernières volontés que la partition fut détruite. Ce que son secrétaire Fontana ne se résolut finalement pas à faire, transgressant pour notre bien les indications de Chopin.
Dès les premières notes, le charme opère au moyen d’une mélodie descendant par degrés et d’une tonalité oscillant entre les modes majeur et mineur. A l’opposé complet de la valse précédente, nous sommes ici plus intimement proches de l’âme de Chopin, de ses sentiments, sur lesquels il ne s’appesantit jamais, surtout lorsqu’ils sont douloureux. Deux épisodes différents interfèrent avec cet état d’âme : le premier, comme un questionnement sans réponse; le second, comme une acceptation interrompue à deux reprises par des questionnements plus pressants. Questions sans réponse bien entendu, ou plutôt une : le retour de la partie initiale dont la nostalgie apparaît alors encore plus profonde que la première fois.

A propos des deux versions
Contrairement au piano moderne, dont l’émission du son est destinée à projeter celui-ci loin du piano jusqu’au spectateur le plus reculé d’une grande salle, le piano d’époque produit des sons moins puissants mais avec une attaque beaucoup plus feutrée et une résonance en proportion plus longue. Voilà qui incite à laisser du temps aux notes de la mélodie pour toucher l’auditeur. Cette valse, d’un tempo « Lento » indiqué par Chopin, se prête merveilleusement à utiliser cette caractéristique pour faire « chanter » le piano. Comment retrouver sur le piano moderne cette émission du son, sans attaque, et utiliser la longueur de son différente d’un instrument à l’autre ? Voilà une piste pour écouter les deux versions, la piste du « bel canto ».


3 - Valse op. 64 n° 2 en Ut dièse mineur

Composée dans les années 1846/1847 et dédiée à la baronne Charlotte de Rothschild.

La tonalité d’Ut dièse mineur et la période de composition (celle des dernières œuvres composées à Nohant), m’ont conduit à mettre en troisième position cette valse qui, bien que de dimensions modestes, n’en demeure pas moins l’une des plus importantes et des plus belles. Ut dièse mineur est une des tonalités de prédilection de Chopin, il l’aime particulièrement pour une raison très simple : en majorisant cette tonalité, on obtient Ré bémol majeur, ce qui autorise à passer de façon immédiate et sans aucun artifice du monde des dièses à celui des bémols. Deux mondes bien différents à l’oreille mais qui communiquent ainsi de manière transparente. Chopin utilise d’ailleurs cette caractéristique pour introduire au centre de la valse un épisode en Ré bémol majeur contrastant tout à fait avec la partie initiale, basé cette fois sur un motif ascendant très chantant, harmonisé de façon subtile. La partie initiale qui reviendra en conclusion se divise elle-même en deux idées bien distinctes : la première, très modulante selon un cycle descendant, fait alterner une mesure chantante et une mesure avec un rythme pointé, traduisant une sorte d’angoisse sous-jacente masquée par des harmonies très colorées; la seconde, légèrement accélérée, utilise un tournoiement de croches à la main droite dont la répétition du motif conduit à une sorte d’étourdissement. Un prodige d’invention, mais surtout le signe d’un grand maître qui porte ici la valse à un niveau inégalé. On comprend le succès de cet opus, dont le jumeau exact, la fameuse valse dite « du petit chien » ou « valse minute » figure en septième position dans cette intégrale.

A propos des deux versions.
L’une des faiblesse du piano d’époque, ce sont ses aigus. Qualifiés de « cristallins » ou de « voilés » par Chopin, ils sont en réalité très souvent « faiblards ». Au contraire, sur le piano moderne, la totalité du clavier possède un son identique et riche. Alors, que faut-il faire ? Jouer sur le piano moderne sans tenir compte de la caractéristique sonore du Pleyel d’époque ? Pour ma part, je pense que les aigus « cristallins » ou « voilés » du Pleyel d’époque sont une caractéristique dont Chopin sait tirer partie, comme un orchestrateur utilisera tel ou tel instrument pour obtenir un effet particulier. J’ai donc cherché à retrouver sur le piano moderne l’effet du piano d’époque. Cela est très audible à la fin de la partie « tourbillonnante » que l’on entend à trois reprises dans cette valse.

4. Valse op. 70 n° 2 en Fa mineur

composée à Nohant en 1841 - sans dédicace

C’est à Nohant encore que cette valse fut composée quelques années plus tôt, en 1841. Elle n’est pas sans similitudes avec la valse dite « de l’adieu » placée deux numéros plus haut. Cette fois franchement dans la tonalité de Fa mineur, son motif descendant semble en être une variation du motif principal. Chan- tante, équilibrée, presque sereine, on y sent le compositeur heureux de partager ses sentiments qui sont cette fois plus positifs. Sans doute la période s’y prête- t-elle. 1841, c’est un été fructueux en compositions importantes pour Chopin : la 3ème Ballade, le Prélude op. 45, les Nocturnes op. 48, mais aussi la Tarentelle op. 43 ! Et puis la grande Fantaisie op. 49, elle aussi en Fa mineur. C’est le début de la dernière période de création de Chopin, celle des œuvres de la maturité. Dans la plénitude de ses moyens, le compositeur réunit ici tout ce qui fait son charme, et en particulier une capacité innée à développer une mélodie dont les contours sont toujours mis en valeur par un rapport à l’harmonie extrêmement étudié. Il n’y a que peu d’ombres dans cette valse qui s’achève comme elle avait commencé : sans prévenir.

A propos des deux versions.

Une des caractéristiques des pianos Pleyel que Chopin a sans doute le plus étudiée est la façon dont le son du piano est produit et émis. L’évolution progres- sive de l’écriture de Chopin et surtout la façon tellement précise et directive dont

il note les indications de pédale4 montrent qu’il a compris que le phénomène de résonance « par sympathie » des notes de l’ensemble du clavier peuvent per- mettre d’enrichir considérablement la mélodie, pour peu que l’on respecte une certaine proportion entre les notes graves conservées par la pédale et le notes de la mélodie. L’utilisation dans cette valse de basses très éloignées de la mélodie met particulièrement en valeur cette fonction. Reproduire ce phénomène sur le piano moderne est tout à fait possible, et améliore là aussi considérablement la sonorité de la mélodie qui n’a plus besoin d’être « appuyée » pour ressortir, ce qui, sur le piano moderne, a tendance à accuser le côté percussif et projeté du son. Adapter au piano moderne le fonctionnement du piano d’époque est donc favorable pour obtenir le « Bel canto » souhaité par Chopin.

5. Valse op. 70 n° 3, en Ré bémol majeur

(composée le matin du 3 octobre 1829)

Après ces valses de la maturité, nous voici maintenant en 1829. Ce retour en arrière nous ramène en Pologne, où le jeune Chopin aspire encore à être reconnu au-delà des frontières de son pays natal. Même si elle ne porte pas de dédicace, on sait que cette valse est liée à Constance Gladkowska dont Chopin est amoureux. Mais l’essentiel est ailleurs et ce qui m’a conduit à mettre cette valse à cet emplacement, c’est à la fois sa tonalité (Ré bémol majeur, dont on a vu précédemment que Chopin l’aimait particulièrement) et surtout la poly- phonie qui se dégage de la main droite. En effet, dès le début, deux lignes bien distinctes sont adroitement entremêlées. De facture harmonique très simple, l’intérêt principal de cette valse provient de la conduite des lignes, une des caractéristiques de l’art de Chopin, qui le conduira à travailler et retravailler toute sa vie la discipline du Contrepoint. Pour le reste, cette valse se déroule dans un grand sentiment de paix et de plaisir de vivre qu’aucune nostalgie ne vient entacher, malgré l’allusion à Constance Gladkowska. Une valse sans histoire donc, pour le pur et simple bonheur de faire de la musique.

A propos des deux versions.

Penchons nous un instant sur un des traits de l’écriture pianistique de Chopin. Imiter le chant au piano était une de ses préoccupations essentielles, mais il aimait particulièrement un autre instrument doué pour imiter la voix humaine : le violoncelle. Or, la tessiture du violoncelle correspond sur le piano Pleyel d’époque à un registre à la sonorité particulièrement veloutée, très proche de la voix elle aussi. Dans cette valse, la partie à laquelle Chopin fait allusion à propos de Constance Gladowska (rappelons ici qu’elle était chanteuse) ressemble justement à une partie de violoncelle, accompagnée par la main droite. La façon d’obtenir ce résultat « chantant » imitant le violoncelle est différent selon que l’on joue sur le piano d’époque ou sur le piano moderne, mais rien n’empêche de chercher à retrouver sur le piano moderne cet aspect spécifique et de lui accorder toute l’attention voulue. C’est bien sûr dans cette direction que je suis allé.

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