Actualités - novembre 2024
L'annonce récente de la découverte d'une valse de Chopin inédite a fait le tour de la planète en quelques heures grâce à internet. On mesure à quel point tout ce qui entoure la vie et l'œuvre du compositeur passionne immédiatement le public du monde entier.
Je n'échappe pas à cet engouement et j'avoue avoir immédiatement cherché à voir le manuscrit de cette feuille de musique, retrouvée par miracle à l'occasion d'un archivage des documents provenant d'une succession.
Au-delà des analyses faites pour authentifier le document (papier, encre, graphisme) qui semblent bien confirmer que Chopin était l'auteur de cette pièce, la question essentielle concernait l'intérêt musical qu'elle présente.
Pour cela, une analyse plus "musicale" était nécessaire afin de comprendre le caractère de cette valse, les principales caractéristiques de sa construction, certes brève mais toutefois achevée dans sa forme.
La tonalité de la mineur (qui est celle aussi de la valse op. 34 n° 2) lui confère immédiatement une certaine nostalgie, un peu de ce Zal caractéristique de la musique de Chopin. Aucune indication de tempo ne figure et elle peut aussi bien se jouer rapidement que lentement, ce qui influe sur l'effet qu'elle produit. Personnellement, je la classe plutôt du côté des valses lentes, ce qui convient à sa couleur, d'autant que la partie mélodique possède des ornements et des intervalles caractéristiques du "bel canto" si cher à Chopin.
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En étudiant de plus près la partition j'ai aussi découvert qu'elle avait plusieurs points communs avec une autre œuvre de Chopin très connue, datant des mêmes années, et dont personne jusqu'à maintenant n'a parlé... Je vous en dirai plus prochainement car le rapprochement est fascinant !!!
Pour le moment, je vous propose un peu d'analyse.
La valse débute réellement après une courte introduction répétitive de huit mesures qui s'achève par un motif descendant rappelant celui du 12è Prélude op. 28. Elle se compose de deux séries de huit mesures, construites sur le principe d'un thème classique : les huit premières mesures s'achevant sur une demi-cadence suscitant une attente et les huit suivantes se terminant par une cadence parfaite conclusive. En dehors l'aspect chantant de la mélodie, un autre détail a son importance : l'introduction et les sept premières mesures sont
En attendant d'en savoir plus et, qui sait, de découvrir ailleurs la suite de cette valse, je vous propose de l'écouter dans cette vidéo ci-dessous enregistrée pendant les Fêtes romantiques de Croissy sur un Pianino Pleyel de 1839, jumeau de celui sur lequel Chopin termina ses Préludes op.28 à Majorque (coll. O. Fadini)
construites sur une note pédale à la basse, créant une sorte d'immobilité tonale à laquelle les huit dernières mesures vont échapper grâce à un de ces changements de tonalité dont Chopin a le secret. C'est ainsi qu'à la 19ème mesure, la musique passe de la mineur à do majeur. Cette teinte plus claire ne dure que peu de temps et dès la 22ème mesure, un très bel accord mineur nous ramène à la tonalité initiale, selon une habitude très chopinienne.
La facture de cette pièce est on ne peut plus classique, tant dans sa structure que dans ses rapports de tonalité, mais tout l'art de Chopin est là : que ce soit dans le classicisme de la forme, la simplicité de l'écriture de l'accompagnement ou le dessin inimitable de la mélodie et jusqu'aux effets instrumentaux comme la répétition du mi aigu qui s'intercale avec le mouvement chromatique descendant des mesures 13 et 14.
Pourquoi Chopin n'a-t-il pas continué cette valse au-delà de cette première série de 16 mesures précédées d'une introduction ? S'agit-il d'un début de valse qu'il n'aurait (peut-être) pas jugé digne d'être poursuivi ?
S'il est difficile de répondre à sa place, je note tout de même que le côté répétitif de cette première partie, et en particulier cette immobilité de la basse, produit un effet obsédant donnant le sentiment de tourner en rond auquel il peut être difficile de faire succéder une idée musicale permettant de renouveler l'intérêt de l'auditeur. Même si, dans certaines valses posthumes datant de la jeunesse de Chopin, ce type de motif obsédant existe sous forme de ritournelle (valse op. posthume en la bémol majeur) sans que cela n'ait empêché le compositeur de trouver des idées pour échapper à cette répétition.
Se pose aussi la question de savoir quelle était la destination de cette pièce. Devait-elle figurer dans un de ces albums que de riches particuliers réunissaient différents hommages de compositeurs sous forme d'autographes ? Mais dans ce cas, cette feuille devrait être signée, or le nom qui figure en haut n'est pas de la main de Chopin...
Enfin, comment cette page unique s'est-elle retrouvée de l'autre coté de l'Atlantique ?
Rappelons-nous que Julien Fontana, fidèle secrétaire de Chopin que ce dernier avait chargé de détruire à sa mort tous ses manuscrits inachevés n'a pas suivi ces consignes à la lettre, puisque le Nocturne en ut dièse mineur opus posthume si souvent joué en bis aujourd'hui faisait partie des partitions à détruire. Il a pu en être de de même pour cette page dont on ne connaît pas non plus la date de composition, estimée entre 1830 et 1835, soit la période troublée de la vie du compositeur qui quitte son pays natal, et qui espère encore épouser Constance Gladkowska à laquelle il devra renoncer définitivement en 1836.
Beaucoup de questions se posent et resteront probablement sans réponse, mais la musique est là, et c'est avec beaucoup d'émerveillement que l'on en découvre le charme inimitable. Et c'est bien là l'essentiel.